Wednesday, 2 October 2019

France Journal Liberation, Catalogne: citoyens d’Europe, c’est le moment d’agir

Par Alfred Bosch, ministre de l’Action extérieure du gouvernement de Catalogne — 21 octobre 2019 à 16:21
Des membres du mouvement citoyen Assemblea lors de la fête nationale catalane, en 2018 à Barcelone. Photo Roser Vilallonga. AFP
La condamnation d'indépendantistes à de lourdes peines de prison crée une «crise européenne majeure», estime Alfred Bosch, un ministre du gouvernement de Catalogne.
Catalogne : citoyens d’Europe, c’est le moment d’agir


Tribune. Cent ans d’emprisonnement. C’est le verdict final rendu par la Cour suprême espagnole dans le procès des anciens membres du gouvernement catalan, de la présidente du Parlement catalan et de deux leaders de la société civile. Cent ans pour avoir participé d’une manière ou d’une autre à l’organisation d’un référendum, ce qui n’est d’ailleurs pas illégal en Espagne selon la Constitution espagnole et qui a été explicitement enlevé du code pénal espagnol en 2005. Cent ans pour avoir exercé leurs droits de façon civique, pacifique et démocratique. Cent ans pour avoir laissé les gens voter, pour avoir mené un débat au Parlement et pour avoir défendu ses idées. Ces personnes, cher lecteur, viennent d’être jugées et condamnées pour leurs opinions politiques, en plein XXIe siècle, au cœur de l’Union européenne. Pour l’Europe des pères fondateurs, née sur la base des libertés et des droits fondamentaux, le 14 octobre est un jour sombre. La démocratie a été bafouée.

Aujourd’hui, c’est moi qui écris ces lignes, car mon prédécesseur Raül Romeva est en prison. Elu, démocrate comme moi, il vit depuis deux ans derrière les barreaux et le sera encore dix ans pour avoir pacifiquement défendu ses idées et celles des citoyens lui ayant octroyé le mandat d’organiser un référendum. Ce procès le condamnant lui et le reste des onze innocents est une erreur historique. Une erreur qui n’améliore en rien la situation, qui ne fait que l’aggraver.

Solution démocratique

Le gouvernement de Catalogne et la société catalane ont toujours cherché une solution démocratique à la tension politique avec l’Espagne. Le constat à la fois pour les citoyens et les élus catalans de l’impossibilité d’adapter le modèle des communautés autonomes à la réalité politique catalane du XXIe siècle a nourri ces dernières années l’explosion du soutien au «droit à décider» et au mouvement indépendantiste. Près de 80% des Catalans soutiennent le «droit à décider» et près de 50% de l’électorat (contre 10%-15% il y a une décennie) soutient le mouvement indépendantiste, un mouvement civique, pacifiste et démocratique. L’essence du mouvement indépendantiste est profondément démocratique : il repose sur la volonté de décider du futur de la Catalogne, moyennant un référendum sur l’autodétermination (tel que reconnu dans le droit international), comme cela a été fait en toute normalité démocratique en Ecosse et au Québec, entre autres.

Le gouvernement espagnol a pourtant toujours refusé d’écouter cette majorité de Catalans et n’a pas sérieusement cherché à établir un dialogue avec ses représentants élus au suffrage universel. Au contraire, leur unique réponse a été la judiciarisation du conflit. Pourtant, ce ne sont pas les tribunaux qui résoudront une crise politique majeure car, heureusement en démocratie, ce n’est pas l’emprisonnement des opposants politiques qui met fin aux désaccords.

Le dialogue doit prévaloir. Y parvenir, c’est la vocation la plus intime du gouvernement dont je fais partie, issu à la suite d’élections rarissimes, avec des candidats-élus déjà en prison, certains en exil, une autonomie régionale suspendue. Nous avons remplacé nos collègues avec la conviction la plus profonde de l’urgence de parvenir à un dialogue avec les autorités espagnoles. Nous avons un mandat collectif qui nous l’impose et nous ne pourrions pas y renoncer.


En effet, près de 80% des Catalans demandent que cesse la judiciarisation du conflit politique et souhaitent la libération immédiate des prisonniers politiques. De nombreux acteurs internationaux ont également appelé à l’apaisement des tensions et au dialogue politique. En France, une centaine de parlementaires de la République ont signé des tribunes – d’abord, en mars, 41 sénateurs, et plus récemment, 52 députés – pour dénoncer un procès contre une «sorte de délit d’opinion» et appelaient à la reprise du dialogue comme seule issue possible à la crise politique.
Judiciarisation

Pour sa part, Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol, n’a jamais véritablement tenté de sortir politiquement de cette impasse. Cela est devenu évident avec les peines réclamées dès le début du procès, en février, par le parquet et l’avocat de l’Etat, deux personnalités liées directement ou indirectement au gouvernement espagnol. Certains pensaient que Sánchez désamorcerait le conflit, nous en avions l’espoir, mais nous nous sommes malheureusement rendu compte qu’il n’avait ni la capacité ni la volonté de le faire.

Ce procès et cette condamnation contre la démocratie mettent encore plus à mal la possibilité de trouver une solution au sein du royaume d’Espagne. La judiciarisation de la question transfère inévitablement ce conflit vers l’Europe, la conscience de ses citoyens, ses institutions et ses tribunaux internationaux. Plus que jamais, il est urgent que la communauté internationale s’implique activement dans la résolution de ce conflit. Il ne s’agit plus d’une affaire interne à l’Espagne, c’est une crise européenne majeure.


Le gouvernement de Catalogne est convaincu qu’une solution existe, et qu’elle passe non pas par la force ni par les tribunaux, mais par la négociation et le vote. Nous appelons la communauté internationale à prendre position en faveur de la démocratie et la négociation. Des droits fondamentaux sont bafoués en Europe et les démocrates européens ne peuvent rester silencieux, en fermant les yeux à l’injustice.

Ces neuf personnes innocentes, élus, membres de la société civile, citoyens européens, n’ont rien à faire en prison. Voter n’est pas un crime et le criminaliser ne sera jamais la solution. Les citoyens de Catalogne doivent pouvoir décider de leur avenir sans craindre la répression. La démocratie doit prévaloir. Aujourd’hui de l’autre côté des Pyrénées, demain peut-être ailleurs. Pour le bien-être de nos générations futures : citoyens d’Europe, c’est le moment d’agir.Alfred Bosch ministre de l’Action extérieure du gouvernement de Catalogne

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